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LES BALLONS MILITAIRES ET LA POSTE AÉRIENNE
Par Gaston Tissandier
Paris Illustré n° 24

 

En 1793, lors du siège de la ville de Condé, le commandant Chanal, homme d'action et d'intelligence, enfermé dans la place-forte investie, cherchait à tout prix à donner de ses nouvelles, à envoyer des dépêches au colonel Dampierre, qui commandait une division française hors des lignes d'investissement. 11 recourut aux ballons. Il fit construire un aérostat de papier qu'il lança en liberté dans l'espace, avec un petit paquet de dépêches. L'appareil tomba juste au milieu du camp ennemi, et fournit au prince de Cobourg des renseignements sur la situation de la forteresse. Un tel début n'était pas d'heureux présage pour la fortune future des aérostats messagers !
Mais ce fait isolé passa inaperçu; pendant que le commandant Chanal tentait cette expérience, le célèbre chimiste Guyton de Morveau envisageait l'usage qu'on pouvait faire des ballons pendant la guerre, sous un tout autre aspect. Il songea à organiser des postes de ballons captifs pour étudier les mouvements de l'ennemi, pour surveiller du haut des airs ses changements de position.
Guyton de Morveau proposa d'organiser, pour l'armée, des aérostats d'observation militaire. Sa proposition fut immédiatement acceptée par le Comité de salut public.
L'illustre chimiste Lavoisier venait de découvrir un nouveau mode de production de l'hydrogène par la décomposition de l'eau sous l'action du fer chauffé au rouge; on adopta ce procédé pour le gonflement des futurs ballons militaires. Un physicien habile nommé Coutelle, fut chargé de faire les premières études. Les expériences s'exécutèrent bientôt à Paris avec le concours de Conté, cet homme si habile que Monge avait pu dire en parlant de lui : " Il a toutes les sciences dans la tête, et tous les arts dans
la main. » Un ballon construit dans de bonnes conditions s'élève quelques jours après à Meudon, à 200 mètres, à l'état captif, et ouvre à la vue de l'observateur dans la nacelle un espace très étendu ; le Comité de salut public se décide à décréter la formation d'une compagnie d'aérostiers militaires, le 13 germinal de l'an II (2 avril 1794).
Coutelle est nommé capitaine de la nouvelle compagnie.

 

Gravure de Duplessis Bertaux d'un ballon captif à la bataille de Fleurus, reproduction Norbert Pousseur

Fig. 8. — Le ballon captif de Coutelle à la bataille de Fleurus, 26 juin 1794.
(Reproduction d'une gravure  de Duplessis-Bertaux. Collection Tissandier.)

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Peu de temps après, Coutelle est à Maubeuge, avec son ballon et son équipe. La place vient d'être assiégée par les Autrichiens.
Le capitaine aérostier se met en mesure de construire son fourneau à gaz, de gonfler l'aérostat qu'il a baptisé l'Entreprenant; quand tout est prêt, il s'en va prévenir le général commandant en chef et le supplie de le faire agir immédiatement. Le lendemain, une sortie s'organise contre les Autrichiens ; Coutelle s'élance dans la nacelle de Y Entreprenant que remorquent avec des cordes une poignée de soldats; il s'avance jusque sous le feu des ennemis, et deux de ses hommes sont grièvement blessés.
Rentré en ville après cette affaire, le ballon Y Entreprenant exécute des ascensions captives deux fois par jour. Du haut des airs, Coutelle lance à terre de petites dépêches attachées à un sac de sable, et fournissant le récit du spectacle qui s'offre à ses yeux. Chaque jour il donne de nouveaux détails sur les travaux des assiégeants qu'il surveille du haut de son observatoire aérien.
L'ennemi s'inquiète vivement de ce ballon si nouveau pour lui, qu'il voit planer dans l'espace, comme un œil mystérieux l'épiant sans cesse. Il lui tire des coups de canon, mais sans l'atteindre; quelques soldats autrichiens sont frappés d'une terreur superstitieuse devant ce globe, qu'ils considèrent comme une œuvre diabolique ; parfois ils s'agenouillent et se mettent en prières devant un tel prodige.
Peu de temps après, le général Jourdan se dispose à aller investir Charleroi, où l'armée hollandaise se prépare contre la France à une rude résistance. Il donne l'ordre à Coutelle de transporter son aérostat de Maubeuge à Charleroi, qui n'est pas éloigné de moins de douze lieues. Ce n'est pas une entreprise facile, mais malgré toutes les difficultés de la route, Coutelle arrive à bon port avec l'Entreprenant qu'il a fait transporter tout gonflé. Avant la fin du jour il dirige son ballon captif vers la ville, et fait une reconnaissance importante ; il a aperçu les assiégés et a pu donner des renseignements utiles sur leurs forces et leurs positions. Le lendemain l'aérostier de la République reste huit heures consécutives dans la nacelle, en compagnie du général Morelot; le surlendemain Charleroi capitule. La garnison hollandaise tout entière est faite prisonnière.
Quelques heures après, les Autrichiens devaient accourir au secours de la place investie, mais ils arrivèrent après la reddition!
La prise de Charleroi eut une importance capitale dans les opérations de l'armée française, et le ballon de Coutelle n'a certainement pas été étranger à ce succès, qui prépara pour Jourdan la victoire de Fleurus.
En effet, les Autrichiens s'avancent rapidement vers Charleroi, sous les ordres du prince de Cobourg. L'armée française les attend de pied ferme sur les hauteurs de Fleurus, d'où elle va se précipiter bientôt pour écraser, l'ennemi. L'aérostat l'Entreprenant s'élève dans les airs vers la fin de la bataille, et pendant plusieurs heures de suite, Coutelle envoie au général en chef des notes précieuses sur les mouvements de l'ennemi (fig- 8).

Jourdan n'hésite pas à reconnaître les services des aérostiers militaires, et Carnot, dans ses Mémoires, déclare que sans l'Entreprenant, bien des opérations de l'armée autrichienne auraient été cachées au général français, par des accidents de terrain qui n'arrêtent pas le regard de l'aéronaute juché dans sa nacelle.
Après les succès des ballons militaires de la première République, il faut arriver à l'époque néfaste de l'année terrible, pour voir les aérostats contribuer avec éclat à la défense nationale, par l'organisation de la poste aérienne pendant le siège de Paris en 1870.
Sans les ballons, pas une lettre ne serait sortie de l'enceinte des forts de la capitale investie, pas une dépêche n'y serait rentrée. Les portes ne se seraient ouvertes qu'au mensonge, à la ruse, à l'espionnage. Un silence de cinq mois n'eût pas été possible. La grande métropole, bâillonnée, aurait vite fait entendre un murmure de détresse, puis un cri de grâce ! Les aérostats n'ont pas seulement emporté les dépèches parisiennes, ils ont permis aux aéronautes d'emmener avec eux les pigeons voyageurs, qui
devaient rentrer dans les murs de la capitale cernée. Les missives du dedans ont pu recevoir ainsi les réponses du dehors. Tours a entendu Paris, Paris a entendu Tours. L'Attila des temps modernes, qui avait écrasé des armées, bombarde des villes, décimé des populations entières, s'est trouvé impuissant devant l'aérostat qui traversait les airs, comme devant l'oiseau qui fendait l'espace !
Jamais je n'oublierai mon départ dans un ballon-poste improvisé, dès les premiers jours de l'investissement, le 3o septembre 1870.
Mon aérostat s'élève dans l'espace avec une force ascensionnelle très. modérée. Je ne quitte pas de vue l'usine de Vaugirard d'où je viens de partir et le groupe d'amis qui me saluent de la main : je leur réponds de loin en agitant mon chapeau avec enthousiasme, mais bientôt l'horizon s'élargit. Paris immense, solennel, s'étend à mes pieds, les bastions des fortifications l'entourent comme un chapelet; là, près de Vaugirard, j'aperçois la fumée de la canonnade, dont le grondement sourd et puissant, tout à la fois, monte jusqu'à mes oreilles comme un concert lugubre. Les forts d'Issy et de Vanves m'apparaissent comme des forteresses en miniature ; bientôt je passe au-dessus de la Seine, en vue de l'île de Billancourt.
Il est 9 heures 50; je plane à 1000 mètres de haut; mes yeux ne se détachent pas de la campagne, où j'aperçois un spectacle navrant qui ne s'effacera jamais de mon esprit. Ce ne sont plus ces environs de Paris, riants et animés, que j'avais tant de fois admirés dans mes ascensions antérieures, ce n'est plus la Seine, dont les bateaux sillonnent l'onde, où les canotiers agitent leurs avirons. C'est un désert, triste, dénudé, horrible. Pas un habitant sur les routes, pas une voiture, pas un convoi de chemin de fer. Tous les ponts détruits offrent l'aspect de ruines abandonnées, pas un canot sur la Seine qui déroule toujours son onde au milieu des campagnes, mais avec tristesse et monotonie. Pas un soldat, pas une sentinelle, rien, rien, l'abandon du cimetière. On se croirait aux abords d'une ville antique, détruite par le temps ; il faut forcer son souvenir pour entrevoir par la pensée les deux millions d'hommes emprisonnés près de là dans une vaste muraille!
Seul dans la nacelle de mon aérostat, ayant quelques pigeons voyageurs pour compagnons, je passe bientôt au-dessus de Versailles, où j'aperçois des Prussiens sur le tapis vert! En quittant Versailles, je plane au-dessus d'un petit bois. Tous les arbres sont abattus au milieu du fourré; le sol est aplani, une double rangée de tentes se dressent des deux côtés de ce parallélogramme. A peine le ballon passe-t-il au-dessus de ce camp, j'aperçois les soldats qui s'alignent; je vois briller de loin les baïonnettes; les fusils se lèvent et vomissent l'éclair au milieu d'un nuage de fumée

Ce n'est que quelques secondes après que j'entends au-dessous de la nacelle le bruit des balles et la détonation des armes à feu. Après cette première fusillade, c'en est une autre qui m'est adressée, et ainsi de suite jusqu'à ce que le vent m'ait chassé de ces parages inhospitaliers.
Ma descende s'opéra à Dreux où je lance deux de mes pigeons voyageurs après avoir attaché à l'une des plumes de leur queue la dépêche annonçant l'heureux atterrissage du ballon messager.
Les deux pigeons sont d'abord à terre et se promènent. Quelques secondes se passent. Tout à coup on les voit battre de l'aile et ils bondissent d'un trait à 1oo mètres de haut. Là, ils planent et s'orientent de la tête, ils se tournent vivement vers tous les points de l'horizon, leur bec oscille comme l'aiguille d'une boussole, cherchant un pôle mystérieux. Les voilà bientôt qui ont reconnu leur route, ils nient comme des flèches... en droite ligne dans la direction de Paris !
Arrivé à Tours, je retrouve Duruof qui m'avait précédé dans les airs, et bientôt je suis rejoint par mon frère Albert qui m'a suivi avec le ballon le Jean-Bart,  La poste  
aérienne organisée à Paris par M. Rampont était fondée et fonctionnait régulièrement au grand dépit des envahisseurs.
Soixante-quatre ballons ont franchi les lignes ennemies pendant la durée du siège de Paris.
Ils ont enlevé dans les airs 64 aéronautes, 91 passagers, 363 pigeons voyageurs, et 9,000 kilogrammes de dépêches représentant trois millions de lettres à 3 grammes.
Il y a eu cinq aérostats capturés par les Prussiens. L'un d'eux, la Bretagne. fut pris à sa descente à Verdun le 27 octobre 1884 après un terrible traînage qui eut lieu par un fort vent L'un des voyageurs M. Manceau avait la jambe cassée ; il fut comme ses compagnons arrêté par des hommes du 4e uhlans, qui le contraignirent à coups de crosse, à se traîner par terre, malgré sa blessure !
Il y eut deux ballons-poste perdus en mer; les aéronautes qui les montaient, partirent de Paris. On ne les revit jamais ! Le premier aérostat perdu en mer était le Jacquart; un marin, Prince, le conduisait le 3o novembre 1870. Il n'avait pas de passager.
Le ballon s'éleva lentement à 11 heures du soir, par une nuit noire, et disparut dans les profondeurs de l'atmosphère du côté de l'Ouest.
Un navire anglais aperçut le ballon, en vue de Plymouth. Il se perdit en mer. Quel drame épouvantable; quelles angoisses, quelles tortures pour l'infortuné Prince, avant de trouver la plus terrible des morts ! Seul du haut des airs, il contemple l'étendue de l'Océan où fatalement il doit descendre. II compte les sacs de lest, et ne les sacrifie qu'avec une parcimonie scrupuleuse. Chaque poignée de sable qu'il lance, est un peu de sa vie qui s'en va. — Il arrive, ce moment suprême où tout est jeté pardessus bord! Le ballon descend, se rapproche du gouffre immense!.... La nacelle se heurte sur la cime des vagues; elle n'enfonce pas, elle glisse à la surface des flots, entraînée par le globe aérien, qui se creuse comme une grande voile !

Prince suspendu au cercle, cherche de loin un navire, une voile à l'horizon. Jusqu'au dernier moment il espère le salut! Mais l'heure arrive où il va falloir être englouti dans les abîmes. Le marin du siège de Paris, pense à la patrie lointaine, à sa mère et à ses amis qui combattent.... Quelque grande vague de l'Océan finit par avoir raison de ce ballon, vessie flottante, à laquelle est attachée une cage de pigeons voyageurs, quelques ballots de dépêches, et un brave qui va mourir pour la France !

Alarme à Gonesse par la descente du premier ballon, gravure reproduite par Norbert Pousseur

Fig. 9. — Première expéuience du parachute exécutée par J. Garnerin
le 1er brumaire de l'an VI (22 oct. 1797).
(Reproduction d'une gravure de Simon-Petit. (Collection Tissandier.)

 

Pendant la guerre franco-allemande, une compagnie d'aérostiers militaires fut organisée en province sous les ordres du directeur des pestes et des télégraphes M. Steenackers Mon frère et moi nous étions chargés de la conduite de l'aérostat le Jean-Bart, ayant à nos ordres une équipe de neuf marins, et une compagnie de mobiles pour transporter le ballon à terre à l'état captif. Le Jean-Bart fit de nombreuses ascensions aux avant-postes de l'armée de la Loire, mais il ne nous fut donné, hélas ! que d'assister à des défaites. Plus tard, on mit à notre disposition un beau ballon de soie qui fonctionna au Mans sous les ordres du général Chanzy.
Le général Chanzy croyait beaucoup à l'efficacité des ballons captifs militaires, et quand après la guerre, il voulut bien accepter la dédicace de mon livre En Ballon ! pendant le siège de Paris, il m'écrivait une lettre touchante que je conserve comme un pieux souvenir d'un grand général et d'un grand patriote. « J'espère qu'un jour, dit le commandant en chef de l'armée de la Loire à la fin de cette lettre, les ballons captifs rendront de réels services, qu'il n'a pas dépendu de vous, mais des circonstances seules de leur faire donner dans la der nière campagne. »
Les vœux du général Chanzy se trouvent exaucés aujourd'hui. Grâce à l'usine aéronautique de Chalais-Meudon, tous nos corps d'armée sont pourvus d'un matériel complet d'aérostat captif avec treuil à vapeur pour le faire monter et descendre. Une première équipe d'aérostiers militaires a eu déjà l'occasion de donner au Tonkin les preuves de son savoir-faire.
Voici ce qu'écrivait à ce sujet un correspondant du Temps au moment du dé-part d'Hanoï pour Bac-Ninh:

« Un moment les curieux du quai lèvent les yeux en l'air, les bateliers qui passent le fleuve s'interrompent de pagayer, les soldats qui ont déjà atteint l'autre rive retournent la tête pour contempler le spectacle, nouveau pour les Français autant que peur les Annamites, de ballons suivant une armée tout gonflés. Deux aérostats ont été amenés d'Europe et remplis de gaz depuis quelques jours ; le premier, retenu par deux cents mètres de cordes, servira à explorer le pays devant soi quand on sera en présence de l'ennemi ; le second contient le gaz destiné à suppléer aux déperditions du premier. Le lest placé dans la nacelle est calculé de façon à leur ôter toute force ascensionnelle. Quelques soldats suffisent à les tirer sur la route. »
Un peu plus tard le même correspondant donnait les détails suivants sur le ballon captif de notre armée.
« La brigade déborde le Truong-Son sur sa droite, et prend son ordre de combat. On amène le ballon, le capitaine Cuvelier monte dans la nacelle, et crie de là-haut la description du terrain et les dispositions de l'ennemi. Mais l'ennemi fuira plus vite que nous ne pourrons le suivre dans ses mouvements. »
Une de nos grandes compositions reproduit l'aspect du ballon captif du Tonkin à son poste d'observation. L'artiste a représenté une lumière électrique brillant dans la nacelle pour fouiller quelques coins de la surface du sol. Nous ne savons pas si cette expérience a été faite, mais il est certain qu'il serait facile de l'organiser dans la nacelle d'un ballon captif. Le générateur d'électricité pourrait fonctionner à terre, et le courant arriverait à la lampe électrique dans la nacelle, par l'intermédiaire d'un fil conducteur. On pourrait disposer ainsi d'un fanal électrique aérien qui pendant la nuit permettrait de surprendre les manoeuvres de l'ennemi.

 

 

 

 

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