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Histoire de la confection des Annales politiques et littéraires

 

 

Titre du Livre d'or des Annales politiques littéraires - Reproduction © Norbert Pousseur



 

Actuellement en ligne :

La mise en page originale a été légèrement modifiée par le transcripteur, pour s'adapter au Web.


Bureau de Mr Brisson - Reproduction © Norbert Pousseur
M. Jules Brisson, directeur des Annales / M. Anatole Duchemin.

 

Maintenant, par quelle série de transformations et d'opérations, passe un numéro des Annales avant de paraître ? Il suffira, pour s'en rendre compte, d'examiner les photographies qui accompagnent ce texte. Sauf pour la fabrication des matières premières (caractères, encre, papier, etc. ), nous pouvons dire que la Revue se suffit à elle-même. L'hôtel de la rue Saint-Georges renferme en ses trois étages tous les rouages nécessaires à la bonne exécution des travaux.
Au premier étage se trouvent installés les bureaux proprement dits. Le cabinet de notre cher directeur, M. Jules Brisson, qui gouverne d'une main si vigilante et si ferme l'administration générale de la Société. Auprès de lui, voici le portrait de M. Anatole Duchemin, membre du Conseil d'administration, dont le jugement et l'expérience nous sont infiniment précieux. Puis les vastes salles où, sous l'œil attentif de M. Poulalion, chargé lui-même du dépouillement des lettres et de la correspondance, sont installés les divers services: la caisse, la comptabilité, l'inscription des abonnements, la manipulation des collections et des primes, enfin le répertoire des bandes d'adresses, dont s'occupe spécialement le gérant des Annales, M. Vinsonau.

L'escalierPassons au second étage... C'est le département de la rédaction. Sur ce point, je demanderai la permission d'insister... et pour cause. La salle de rédaction d'une revue ne ressemble nullement à la salle de rédaction d'un journal quotidien. Ici tout se fait à la vapeur; le rédacteur en chef, surmené, donne des ordres, ouvre des dépêches, tend l'oreille au téléphone, rédige un filet entre deux visites, confère avec ses reporters, les envoie en fiacre aux quatre coins de Paris, dîne à neuf heures, rentre à minuit pour jeter un coup d'œil sur la mise en pages, se couche à l'aube et recommence le lendemain. La, régnent un calme et des loisirs relatifs. Le rédacteur en chef a huit jours pour préparer son numéro. Il l'élabore à loisir, il en amasse les éléments avec une sage lenteur, et n'insère un article qu'après l'avoir lu et relu dans tous les sens. Cependant, attendez !... Un autre écueil se dresse.
Une revue à gros tirage, comme les Annales, est obligée de s'imprimer à l'avance, de mettre sous presse le mercredi pour le samedi. Il s'agit, pour n'être pas en retard, de prévoir l'actualité, de surveiller attentivement ce qui se dit et ce qui se passe, de savoir quelles pièces seront jouées dans la semaine, quel immortel sera reçu à l'Académie, de quel homme célèbre il conviendra de graver et d'imprimer le portrait; il s'agit de se procurer les bonnes feuilles du volume à sensation et de les publier, le jour où le volume paraît, et la veille même s'il est possible.... Cette multiple besogne s'accomplit aisément, une fois l'habitude prise... Plus délicate est la question des manuscrits.

 

M. Adolphe Brisson, rédacteur en chef

Ai-je besoin de dire que nous en recevons des centaines, des milliers de tous les coins de la France. Vers, prose, drames, comédies, chroniques nous arrivent chaque jour, accompagnés de lettres dont quelques-unes sont ridicules, dont la plupart sont touchantes. C'est une jeune fille qui se sent piquée par la tarentule littéraire et qui nous écrit à l'insu de ses parents, nous demandant sinon un compliment, du moins un conseil. C'est un grave notaire qui a utilisé ses loisirs à composer un drame en cinq actes et qui, dans une lettre de six pages, nous expose ses théories sur l'art dramatique contemporain. C'est un commerçant dont les affaires sont embarrassées et qui prend le parti d'entrer dans le journalisme et qui, le plus sérieusement du monde, nous enjoint de lui procurer une place avantageuse. C'est un collégien qui nous adresse ses premières rimes d'amour, où l'on retrouve, tout vibrant quoique affaibli, l'écho des des Annales ne saurait, malgré sa bonne volonté, lire tant de manuscrits et répondre à tant de lettres. Il est aidé dans sa tâche par le très dévoué et très distingué secrétaire de la Revue, M. Henri Nicolle, à qui incombe, entre autres missions, celle de tenir en ordre les communications des abonnés.

Louis Vinsonnau et Henri Nicolle
Louis Vinsonnau, correcteur et et Henri Nicolle secrétaire

Et si les écrivains amateurs se contentaient de rédiger des épîtres; mais ils viennent, en personne, nous apporter les fruits de leurs veilles! Il en est, dans le nombre, d'infiniment sympathiques, dontnous avons gardé un excellent souvenir, qui ont fait dans la carrière des lettres un chemin honorable, et dont nous sommes fiers d'avoir pu soutenir les premiers pas. Mais il en est d'autres !...
Que n'ai-je en ma possession le crayon de La Bruyère ! Je vous dessinerais des portraits bien amusants. Je vous montrerais d'abord quelques types de bas bleus. Je n'entends pas désigner sous cette épithète injurieuse, les vraies femmes de lettres, les baronne Staffe, les George de Peyrebrune, les Henri Gréville, les Arvède Barine, et les douze ou   quinze  brillantes romancières, chroniqueuses ou poétesses que nous sommes ravis de  posséder dans nos rangs. J'appelle de ce nom la légion innombrable    de demoiselles inoccupées et de douairières sentimentales, qui s'imaginent avoir    en partage le génie de George Sand et qui, infatigables pondeuses, fabriquent de la prose    au  kilomètre et vous assassinent  de leurs alexandrins incolores.

Fadayat, prote
     M Fadayat, prote de l'imprimerie des Annales

Il faut encore s'estimer heureux, quand leur exaltation ne frise pas la folie.
Dernièrement, une dame mûre et distinguée franchit le seuil de mon cabinet. Elle s'assied et, d'une voix douce et posée, elle me tient ces propos extravagants:
— Monsieur, le hasard m'a mis en possession d'un gros secret...
Ce début m'inquiète, je fronce le sourcil et prends un air très désagréable. La dame, impassible, continue:
— J'ai retrouvé les manuscrits de Molière... Cette énorme révélation me laisse froid. Un peu
piquée, mon interlocutrice s'anime, ses joues se colorent, ses yeux lancent des éclairs.
— Oui monsieur, j'ai tous les manuscrits deMolière dans une malle qui m'a été léguée par une vieille parente et qui vient en droite ligne d'Armande Béjart. Ils sont tous là, le Misanthrope, Tartufe, Amphitryon, le Malade imaginaire... Et de plus (elle regarde autour d'elle comme si elle craignait d'être épiée par un témoin invisible), et, de plus, j'ai entre les mains une pièce inédite de Molière...
— Et vous m'apportez ce joyau rare?
— Je veux bien, sous le sceau du mystère, vous en montrer la copie. Mais à condition que vous n'en parlerez à personne.
Et la bonne dame tire de son sac, avec mille précautions, un cahier de papier blanc où j'aperçois, inscrit en caractères gothiques, ce titre plein de promesses: L'Ecole des Barbons, comédie en cinq actes, en vers, par M. J. Poquelin de Molière. Je tourne le feuillet, et je discerne quelques vers visiblement imités de l'Honneur et l'argent, de François Ponsard. Ma curiosité est satisfaite...
— Mon Dieu, madame, je n'aurais pas personnellement l'emploi de ce document. Je vous engage à le communiquer à M. Monval, archiviste de la Comédie-Française, qui le lira avec beaucoup d'intérêt.
Combien d'autres originaux défilent chez nous ! Il y a l'officier en retraite qui veut absolument réformer la loi militaire; l'ancien magistrat qui traduit en vers les œuvres d'Horace (celui-là est éternel et classique); l'oncle qui vient nous recommander les débuts de son neveu, jeune romancier plein d'espérance: ou le neveu lui-même, qui ne laissant à personne le soin de le présenter, nous offre l'hommage de son volume et sollicite un compte rendu dans les prochaines Annales...

L'atelier de composition
L'atelier de composition

Et, au milieu de ce va-et-vient, de ce mouvement perpétuel, le numéro, peu à peu se triture et se complète. Sergines enfante ses Echos de Paris; Sarcey nous envoie ses Notes de la Semaine; Henri de Parville son Mouvement scientifique; les Pages oubliées jaillissent de la poudre des bibliothèques; le bon Tirésias combine ses mots carrés. Enfin nos seize pages de texte, nos quatre pages de gravures et de musique sont là, achevées, parachevées, serrées et compactes,. Il ne reste plus qu'à les imprimer.
Ce soin regarde notre excellent prote, M. Fayadat, qui règle et surveille tous les détails de la fabrication matérielle (l'exécution typographique du Livre d'Or lui fait le plus grand honneur).
Douze ouvriers habiles enlèvent en quelques heures la composition de la Revue. Les formes, descendues aux sous-sols, passent entre les mains des clicheurs. Les clichés sont placés sur la rotative (voir le dessin ci-contre), remarquable machine construite par M. Marinoni, sur un modèle tout nouveau, et qui tire à l'heure dix mille exemplaires, lesquels sortent de la presse marges, rognés et pliés avec une irréprochable précision. De là, le papier arrive, par un monte-charge, dans l'atelier où il doit subir les dernières manipulations: encartage de la couverture et du supplément, mise sous bande, pliage, paquetage et ficelage. Puis les numéros, dûment triés, comptés, assemblés, filent, sous le contrôle du chef de départ, vers le bureau central de la poste, d'où ils s'égrènent sur toute la surface du globe !...
Et voilà notre besogne de chaque semaine. Joignez-y une infinité de travaux accessoires, l'impression des bandes, des prospectus, le trempage du papier, le découpage des gravures, la confection de notre almanach de Noël, etc., etc., et vous comprendrez sans peine qu'une fiévreuse activité règne, d'une extrémité de l'année à l'autre, dans l'Hôtel de la rue Saint-Georges.

.Salle des machines
La salle des machines


Salle des pliages
La salle des pliages

Notre Revue est-elle la première en date qui ait porté le titre d'Annales politiques et littéraires ? M. G. de Dubor, de la Bibliothèque Nationale, a bien voulu nous fournir sur ce point d'instructifs renseignements. Il a reconstitué notre arbre généalogique; et nous avons pu constater avec surprise que cet arbre avait de nombreuses racines dans le passé. D'autres Annales ont existé jadis, et des Annales qui ne différaient pas très sensiblement de nos Annales - dumoins quant à la conception et à l'idée générale. - Ce sont par ordre chronologique :

1° Les Annales parisiennes, politiques et critiques (juillet1789). Le rédacteur de ce recueil annonce pompeusement que, pour mieux enseigner ses lecteurs, il « n'a pas quitté l'Hôtel de Ville les dix-sept premières nuits et les quarante premiers jours. » La littérature n'occupait qu'une place très restreinte en cette gazette dont l'existence fut brève.
2° Les Annales politiques et littéraires (1789-1793), rédigées par Mercier. Cette feuille, une des plus populaires du temps, était l'oracle des  Sociétés jacobines de la province.
3° Les Annales politiques, civiles et littéraires par Pierres (an V et an VI), publication sans intérêt.
4° Les Annales politiques, morales et littéraires (1815-1819). — Par M. Villenave et Mme Céré de Barbé. — Journal rédigé en conscience, avec exactitude et impartialité. On y remarque des Catilinettes, par la Mère Michel. — Mais le plus curieux pour nous c'est que l'on doit à ce recueil l'invention des Chroniques de la semaine qui, sous des noms divers, ont tant pullulé depuis. Tous les lundis, Villenave effleurait, en se jouant, dans un article intitulé la Semaine, les divers événements politiques et littéraires et mettait ses abonnés au courant des menus faits de la vie parisienne. Cette innovation fut aussitôt imitée par les autres journaux de l'époque.
Outre les informations et les chroniques, ce recueil publiait des morceaux choisis, des pages de prose, d'agréables petits vers. Nous citerons, à titre de simple curiosité, la piécette qu'on va lire. Elle est empruntée au numéro du 24 janvier 1819.
Réponse à M™ X. qui demandait pourquoi le pouce est beaucoup plus court que les autres doigts :

Quand on fait mal ce qu'on doit faire,
On s'en mord les pouces, dit-on ;
C'est Adam notre premier père
Qui nous donna cette leçon...
Ce vieux gourmand, avec sa pomme,
Se mordit les pouces aussi;
Et, de père en fils, voici comme
Nous avons ce doigt raccourci.


On peut donc voir dans les Annales politiques morales et littéraires, la plus ancienne revue de famille qui ait été fondée en France. Que mille grâces lui soient rendues! Nous saluons avec respect cette vénérable aïeule !
J'arrive au bout de ma tâche... Mais je ne veux pas achever ces quelques mots de préface sans remercier les éminents écrivains qui ont bien voulu prêter leur concours au Livre d'Or des Annales. Ils nous ont donné, en cette circonstance, des témoignages d'encouragement et de sympathie, dont nous avons été vivement touchés. Nous leur en exprimons ici notre gratitude... Et notre vœu le plus cher est de pouvoir, dans dix ans, leur demander à tous une nouvelle série d'autographes, quand nous fêterons, à l'aurore du siècle prochain, le vingtième anniversaire de la Revue !

 

A M. Ad. Brisson.

DIX ANS

Dix ans! Quand un gamin a dix ans, il commence
A savoir dénicher les livres amusants.
Mais, garçon de la ville ou fils de paysan,
On ne lit bien, chez nous, que le français de France.

Dix ans! Quand un recueil a dix ans, sa croissance
Est faite... On peut laisser dire les médisants,
Marmonner les jaloux, rire les suffisants...
Dix ans de bon papier, ce n'est pas rien, je pense !...

Lecteur, que serons-nous dans dix ans, vous et moi ?...
Bah!... gens de bonne humeur et gens de bonne foi.
Tenons, en bons Français à ces vertus... banales :

Et, quand nous vieillirons, ancêtres triomphants,
Nous apprendrons à lire à nos petits-enfants,
En lisant avec eux, le soir, dans les Annales.

HENRI CHANTAVOINE.
Paris, 29 avril 93.


 


 

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