GASPARD DE CHERVILLE : Gaspard G.  Pécou, marquis de Cher-ville, né à Chartres en 1821.
                 
                Autographe :  
                  Ma  collaboration avec Alexandre Dumas père.
                  
                  J'ai l'honneur  de vous adresser les petits renseignements que vous voulez bien me demander.
                  
                  Ma vocation  comme romancier et comme journaliste a été absolument accidentelle.
                  A l'âge de  trente-et-un ans, ayant perdu ma fortune, relégué à Spa, par une très grave  maladie, je ne savais plus de quel bois faire flèche. Sur la recommandation de mon  compatriote et ami, J. Hetzel (le père), j'écrivis un petit roman que je lui  envoyai; il s'intitulait: le Lièvre de mon grand-père. — Hetzel me répondit  illico que c'était le comble de la présomption (et de la bêtise) de prétendre  écrire quelque chose sur les bêtes après les Animaux peints par eux-mêmes ! Bien  que convaincu qu'Hetzel n'avait pas même lu mon pauvre manuscrit, je n'insistai  point et cherchai tristement une autre ressource.
                  Six mois après,  Dumas père, qui était rentré à Paris, vint à Bruxelles et descendit chez  Hetzel. Il trouva mon manuscrit sur le bureau de son hôte, le lut dans son lit,  le trouva joli et le lendemain je recevais d'Hetzel une dépêche ainsi conçue: « Réponds hic et nunc, veux-tu vendre ton roman à Dumas?» Je répondis oui, oui,  oui, c'était la manne qui tombait du ciel. Ce fut là le point de départ de ma  collaboration avec Dumas, laquelle se prolongea pendant sept ans et produisit  une cinquantaine de volumes.
                  Mon entrée dans  le journalisme fut également assez fortuite. Après ma séparation avec Dumas  qui guerroyait en Italie, j'avais donné au Temps, au Siècle des romans et des  nouvelles publiés sous mon nom. En 1871, Adrien Hébrard, avec lequel j'étais  lié, me proposa de donner des causeries rurales au Temps, sous le titre de la Vie à la campagne. L'idée était bonne, car il y a vingt-deux ans que je la  poursuis, et non seulement elle m'a valu ma très mince notoriété, mais les  journaux les plus importants n'ont pas dédaigné de se l'approprier.
                  
                  Vous le voyez,  monsieur, ma vocation littéraire n'a pas brillé par l'acharnement; je n'en  suis pas moins reconnaissant aux événements qui me l'ont insufflée, car je lui  ai dû ces jouissances du travail qui m'étaient inconnues, mon indépendance et  le pain de la vieillesse.
                  
                  Agréez, monsieur,  l'assurance de mes sentiments profondément respectueux.
                  
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                25 avril 1893 - G. de  Cherville