Gravure et texte extrait de l'ouvrage 'Abrégé de la vie des plus fameux peintres' d'Antoine Joseph Dezallier d'Argenville, édition de 1762, collection personnelle.
               
              S’il a manqué à Jean Lanfranc quelques  parties de la peinture, il en a possédé d’assez considérables  pour mériter le nom de grand peintre. Il  naquit, à Parme, en 1581. Ses parents l'envoyèrent d’abord à Plaisance pour être  page du Comte Scotti, qui, le voyant  dessiner avec du charbon, la frise de sa chambre, crut apercevoir en lui les  traces d’un grand peintre : le Comte le mena chez Augustin Carrache, qui  travaillait à Parme, chez le Duc Ranuccio.
                Lanfranc, au grand étonnement d’Augustin, fit  des progrès étonnants. Son coup d’essai fut une Vierge accompagnée de plusieurs  saints, qu’on trouva digne d’être placée dans l’église de saint Augustin de  Plaisance.
                De si heureux commencements furent secondés par  la vue des ouvrages du Corrège, dont les raccourcis de la coupole de Parme le  charmèrent au point, qu’il devint par la suite un des premiers peintres dans ce  genre. Il disait ordinairement qu’un artiste qui ne sait la perspective que  pour faire des tableaux, dont les figures sont en pied, n’est pas un véritable  peintre ; et que c’est dans les voûtes, où il faut représenter des figures  en dessous et dans différents raccourcis, que l’on connaît l’adresse et  l’esprit d’un habile homme, qui sait leur donner du mouvement et de la grâce.
               Après la mort d’Augustin Carrache, Lanfranc  vint à Rome, à l’âge de vingt ans, et il se mit sous la conduite d’Annibal, qui  l’employa à divers ouvrages dans le palais Farnèse. Raphaël était l’objet  continuel de ses études, et il grava en partie, les loges du Vatican. Quelques  ouvrages à fresque, confiés à  Lanfranc, par le cardinal Sannese,  firent juger de sa capacité.
                Il voulait joindre à la fermeté du dessin  d’Annibal Carrache, le goût et la douceur du Corrège, avec la grande pensée de  Raphaël ; mais il le fit sans aucun succès. Ses tableaux de chevalet sont  fort inférieurs à ses grands morceaux à fresque ;  il était peu correct, peu gracieux, son  coloris peu recherché et trivial, ses ombres trop noires.
                La perte qu'il fit d’Annibal son second maître,  l’engagea à se retirer dans son pays, où il resta durant plusieurs années. Son  pinceau eut de quoi s’exercer, tant à Parme qu’à Plaisance, où divers ouvrages  publics signalèrent ses rares talents.
                La ville de Rome l'attira de nouveau, et il s’y  fit une grande réputation, par le tableau qu'on voit chez les religieuses de  saint Joseph, où ce saint couvre d'un manteau sainte Thérèse à genoux, pendant  que la Vierge lui met au cou une chaîne d’or. Sa chapelle de Buongiovanni, dans l’église de saint  Augustin, où est représentée l’assomption de la Vierge, augmenta encore sa  renommée.
               Paul V  protégea toujours Lanfranc ; il lui donna à peindre la frise de la salle  Royale, à Monte Cavalla, où il a  représenté la verge de Moïse, changée en serpent, et le sacrifice d’Abraham,  accompagné des figures des vertus et de très beaux ornements : cet ouvrage  fut suivi de la chapelle du Pape, à sainte Marie majeure. La satisfaction  qu’en eut le Saint Père, le fit choisir encore pour peindre la loge de la bénédiction,  à Saint Pierre de Rome : sans la mort du Pape, ce grand ouvrage aurait eu  son exécution.
                Ce fut en ce temps-là que  le cardinal Montalte, protecteur du Dominiquin, étant mort, la faveur procura à  Lanfranc la coupole de saint André de la Valle,  qui avait été promise au Dominiquin.
                Lanfranc, né pour les  grandes   machines, et surtout pour les  raccourcis, se surpassa dans cet ouvrage ; celui du Dominiquin, l’engagea  ( pour ne pas paraître inférieur ) à y mettre tout son esprit. Par une adresse  merveilleuse, le jour est tiré de la figure du Christ, qui est au haut de la  lanterne, et répand une douce lumière sur toutes les autres figures qui  dégradent parfaitement : cette harmonie  de couleur ne se peut trop admirer. Le public jouit de la variété des manières  de ces deux grands peintres, et par ce contraste, peut juger de ce que les  modernes, depuis le Corrège, ont fait de plus sublime dans ce genre de  peinture.
                La réputation de Lanfranc, qui s’établissait de jour en  jour, vola jusqu'à Naples ; il y fut mandé pour commencer la coupole du  Jésus, ou il a représenté  une gloire  céleste. Cette grande machine peinte en un an et demi, a été depuis ruinée par un tremblement de terre, et  il ne reste que les angles qui attirent l’admiration des connaisseurs (Pendant mon séjour à Naples, Paul de Mattéi a de nouveau peint cette coupole).
               Lanfranc était à Naples, dans le temps que le Dominiquin y  peignait la coupole du trésor ; il trouva moyen de se faire aimer des  peintres Napolitains, qui tournèrent toute leur colère contre le Dominiquin,  parce qu’il ne voulait pas les fréquenter, On lui fait dire, à Naples : Che il dipingere ad olio era pur' d’ogni donna che  vi applicasse, ma il dipingere a  fresco era solo del valentuomo. Il savait parfaitement que les compositions  en plein air sont moins susceptibles de grandes ombres et de clairs que dans un  lieu fermé.
                La voûte de la Nef, et la tribune de Saint Martin des  Chartreux ; celle des  Saints  Apôtres, et plusieurs autres églises de Naples, sont des preuves de son habile  pinceau. La mort du Dominiquin lui fit avoir encore la coupole du Trésor qui  est à la cathédrale ; il y a représenté de nouveau, une gloire céleste. La  jalousie fit abattre tout l’ouvrage du Dominiquin, que la mort l’avait empêché  de finir. Les angles sont seulement de lui, comme à Saint André de la Valle de Rome ; mais l’ouvrage de ces  deux maîtres ne s’accorde pas si parfaitement ; Lanfranc a trop donné dans  l’obscur pour atteindre à la force du coloris des angles de son rival.
                Pendant les troubles de Naples, en 1646, Lanfranc revint à Rome ; le Pape  Urbain VIII lui fit orner l’église de Saint Pierre d’un grand tableau, où ce  saint marche sur les eaux, dans la confiance du Seigneur qui est présent avec  ses apôtres, Les faveurs du saint Père s’étendirent encore à le faire  chevalier, et à lui procurer les cartons pour les mosaïques, représentants  saint Bonaventure et saint Denis ; dans les angles de la coupole de la  chapelle de Saint Léon, dans Saint Pierre, ou Lanfranc  peignit encore la chapelle du Crucifix ;  enfin, la tribune de Saint Charles de  Catenari, fut son dernier ouvrage et le moins bon de tous ; il  mourut à Rome, le même jour que cette peinture fut découverte, en 1647, dans sa  soixante-sixième année, et fut inhumé dans l'église de Sainte Marie in transtevere.
               Lanfranc  laissa une femme aimable et des enfants pleins de talents, qui avaient beaucoup  contribué à lui rendre la vie douce et agréable. Ce peintre était libéral, et  avait toujours vécu splendidement avec une nombreuse famille ; cependant,  ses biens ne l'aidèrent pas de se trouver assez considérables à sa mort.
                Les  compositions du Lanfranc sont élégantes ; ses groupes sont un grand effet,  et les draperies sont jetées avec un art surprenant. Rien n'est plus fier que  son pinceau : conduit par un génie abondant, et par une main légère ;  il ne laisse à souhaiter  qu’un peu plus  de correction et d’expression. Son goût de couleur fut pendant un certain temps  celui des Carraches ; ensuite devenu noir, il approcha du Caravage, On  peut dire que ses fresques sont supérieures à ses tableaux de chevalet ;  mais dans les derniers temps de sa vie, consultant peu le naturel, il faisait  tout de pratique.
               Le  chevalier Benaschi, Piémontais, Giacintho Brandi, et François Perrier,  peintre français, sont les seuls disciples qu’on lui connaisse.
               Lanfranc  se servait ordinairement de papier gris pour dessiner à la pierre noire,  rehaussée de blanc de craie, avec quelquefois un peu de lavis. Rien n’est si  spirituel que la manière hardie dont ces dessins sont faits ; les hachures  sont de droite à gauche assez serrées pour paraître estompées : on en voit  à un  trait de plume, lavés au bistre, et commencés à la sanguine : ses tournures de  figures, ses têtes, ses draperies larges, annoncent un grand style ; en un  mot, son goût se déclare partout.
                Les principaux ouvrages du  Lanfranc, à Rome,  sont, la coupole de Saint André de la Valle, où la Vierge assise sur des  nuages, regarde son fils, qui est peint au haut de la lanterne ; à côté,  sont saint Pierre et saint Gaétan, instituteur de l’ordre des Théatins,  auxquels l’église appartient ; de l'autre côté est saint André avec  plusieurs saints ; Adam et Ève, Noé et Abraham, Moïse, et tout ce qui a  rapport à la  gloire de Marie, y est traité savamment ; on voit, dans la même église, un  très beau tableau de saint André d'Avellino célébrant la  messe ; dans l’église de Saint Pierre de Rome, il a représenté le saint  marchant sur les eaux ; et dans la chapelle du Crucifix, peinte à fresque,  au haut de la voûte, un chœur d’anges, et un groupe d’enfants portant la croix ;  dans l’église de Sainte Marie Majeure, à la chapelle de Paul V, la  Vierge donne l’habit à  saint Ildefonse. On voit, à Saint Paul hors les murs, à la  chapelle du Saint Sacrement, la manne, saint Paul mordu d’un serpent dans l'île  de Malte, Moïse et le serpent  d’airain,  l’entrée des Israélites dans la terre promise, Elie, Habacuc, Daniel, la  multiplication des pains ; ces derniers morceaux sont dans le réfectoire  des Pères. On trouve, à Saint Jean des Florentins, dans la chapelle Sachetti, deux tableaux à l’huile . l’oraison au jardin des  oliviers, et un portement de croix ; on voit une ascension dans la coupole, avec plusieurs anges qui  tiennent les instruments de la passion ; dans l'église de Saint Augustin,  à la voûte de la chapelle Buongiovanni, une assomption et divers sujets sur les côtés, tels, que l'enfant Jésus qui  montre à saint Augustin, la Sainte Trinité ; saint Guillaume persécuté par  les démons qui fuient en voyant la   Vierge ; à Saint Charles de  Catenari, la tribune est ornée de Dieu le Père, Jésus-Christ, la Vierge,  saint Charles, plusieurs saints quantité d’anges ; dans la chapelle Costaguti, même église, une belle  Annonciation ; dans celle de Sancta  Lucia in felci, le martyre de la sainte ; aux Capucins,  une conception et une nativité ; aux religieuses de Saint Joseph le saint  avec la Vierge et sainte Thérèse ; à Monte  Cavallo, dans la frise de la salle Royale, le frappement de roche, le  sacrifice d’Abraham, et la fuite en Égypte ; Hercule étouffant Antée, dans  la Vigne Borghèse, et les peintures du  plafond de la loge, dans la même vigne, où est représentée  l’assemblée des Dieux dans l’Olympe.
                On voit, à Naples, la  tribune de Saint Martin des Chartreux, où il a peint un crucifiement, et dans  la voûte, une gloire d’anges sur un fond d’or, avec les douze apôtres sur les  croisées ; saint Janvier, et les autres saints protecteurs de Naples,  placés dans le ciel, sont peints dans la coupole de la chapelle du Trésor, qui  est à la cathédrale ; dans l'église de San  Apostoli, la voûte représente le martyre de tous les apôtres, avec des  enfants de clair-obscur, qui trompent par leur relief ; les angles  représentent  les quatre évangélistes ;  on voit sur la porte Notre-Seigneur dans l'Annonciata,  qui est un hôpital de filles, l’ange qui apparaît à saint Joseph ;  une descente de croix, dans la chapelle du Prince del Colle.
                À Lucques, l’église de San-Pietro Civoli, expose le martyre de saint  Laurent.
                À Macorata,  chez les Jésuites, le trépas de la sainte Vierge.
                Aux Zocolanti  de Caprarola, saint Sylvestre qui tue un dragon.
                À Pérouse, à Saint Dominique, le tableau du  rosaire.
                Une Assomption de la Vierge, dans l'église  cathédrale de Lucerne en Suisse.
                À Parme, dans le Baptistaire, saint Octave  recevant la couronne du martyre.
                À Plaisance, dans la chapelle de saint Luc,  dans l’église de Santa Maria in piazza,  l'assomption de la Vierge, et une gloire d'anges ; le tableau d’autel de  saint Luc, écrivant, dont la tête est tournée vers le ciel ; au dôme de la  même ville, la chapelle de San-Corado,  renferme le saint avec une gloire d'anges ; on y voit encore saint Alexis  avec un cardinal.
                Chez le Grand-Duc, on voit l’extase d’une  sainte, soutenue par deux anges ; le Sauveur dans la gloire avec trois  anges ; une Madeleine couchée, dans le désert.
                La galerie du Duc de Parme est ornée d’un saint  Charles ; d’un saint François ; trois Vierges différentes avec des  saints ; la Vierge avec sainte Marie Égyptienne ; le martyre de  sainte Catherine ; deux paysages ; une exaltation de saint Paul ;  un Noli me tangere, et le mariage de  sainte Catherine.
                A Düsseldorf, chez l’Électeur  Palatin, on voit une Madeleine pénitente.
                Le Roi (de France, Louis XV) possède six  tableaux : un saint Augustin et saint Guillaume à genoux devant  Jésus-Christ qui couronne Marie dans une gloire, où sont placés plusieurs  anges, l’adieu de saint Pierre et de saint Paul ; Agar et son fils Ismaël ;  Diane et Pan dans un paysage ; Mars et Vénus.
                On voit au palais Royal,  le portrait d’une femme à mi-corps, de grandeur naturelle ; une  annonciation aussi. de grandeur naturelle ; une charité Romaine, peinte  sur bois en rond.
               Lanfranc a gravé deux  morceaux de sa main, et les peintures de Raphaël, dans les loges du Vatican,  conjointement avec Sisto Badalochio. Ceux  qui ont gravé ses ouvrages, sont, Pietro  Aguila, Greurer, T. Greuger, Villamene, A. Richer, Carle Cesio, C. Bloemaert, Louvemont,  Roullet, N. Dorigny, Picart le Romain, Baudet, et autres ; son œuvre ne  monte pas à plus de cinquante morceaux.